Entre la terre et le flux
Je me constitue d’espaces.
Espaces linéaires ou non, qui se superposent, se juxtaposent avec les erreurs du temps.
Les espaces sont finis et organisés dans le temps (vie/mort, temporalité du recyclage).
Ils sont chacun une valeur mémorielle, donc ils ont un nom. Pour moi, chacun est une maison.
Plusieurs forment un état, et les états s’entassent dans mes archives intérieures, que je peux consulter ou faire émerger du labyrinthe de mon vivant. (Énergie, flux)
Évoquer ces maisons ou le nom des états me plonge vers l’extérieur.
Ils sont retenus par des fils à ma mémoire de vivante (humanité indifférenciée),
celle simple et ordinaire qui me constitue,
mais qui donne à voir, symboliquement ou par prétexte, ces choses émergentes qui me constituent.
Femme qui rêvait, je n’en ai qu’une vision, la mienne, même si d’autres sont passées avant moi.
Donc pleine d’un ailleurs (avant, après).
Mon vécu se situe entre deux mondes : celui de la matérialité et celui de l’immatérialité (la terre et le câble d’ordinateur).
Je tente de trouver des achoppements entre ces deux réalités qui constituent ma génération.
Un monde ancien, républicain et rural, et une mondialisation individualiste.
Sabine BALP
Septembre 2023
L'ethnologie intime de Sabine Balp
Si l’art est une narration de l’être au monde, comme dit Daniel Sibony, psychanalyste, il ne se fait pas seul.
Ainsi, nous, spectateurs, n’avons pas d’autre choix que de nous infiltrer dans ces représentations éclectiques. Et pour chacun d’entre nous, il se passe quelque chose dans ce passage du plan à ses multiples éclats ;
Il apparaît au premier regard une nécessité d’étaler, de croiser, D’ENTREMÊLER ces « choses », Peintures, Objets, Sculptures qui, une fois conjuguées, prennent des statuts multiples.
Ainsi, en déployant nos propres références, on pense à un simple Échantillonnage, Répertoire, Nuancier, ou un Glossaire dont l’agencement désordonné questionne, une sorte de nomenclature mystérieuse.
Mais très vite — et cela ne nous échappe pas — nous ne pouvons plus y voir qu’un simple dispositif de classement d’objets témoins, souvenirs, objets d’usage et objets symboliques.
Nous ne sommes pas du côté de Perec, dans Penser, Classer, mais plutôt dans l’univers de l’ethnographie intime des sémiophores de Sabine.
Car la liberté dont Sabine témoigne dans cet apparent syncrétisme, nous fait sortir de ces cadres culturels classiques en nous proposant toutes sortes de voyages.
Sabine cherche à l’aveugle, dans les racines de tout un chacun, à réaliser des rencontres improbables où chaque chose trouve sa place sans hiérarchie.
Mais à chaque fois, on y retrouve la permanence de la terre et de ce qu’elle produit.
Il y a, au-delà de l’élan narratif, certains objets qui ne cachent pas leur filiation pour orienter notre regard comme notre mémoire.
D’autres restent à l’état de signes pour revendiquer le simple plaisir de la rencontre.
Avec légèreté, ils prennent une allure de totem et, en structurant le récit, ils invitent au débat.
Mais on peut aussi y trouver des objets fétiches, apprivoisés par la présence d’objets emblématiques…
En tout lieu, à chaque fois, les objets sont enracinés.
Dans tous les cas, les objets qui accompagnent cet archipel d’éclats de terre nous offrent une parole qui élargit l’espace du visible et dérange.
En nous mettant à l’abri de l’oubli, ces objets nous invitent à relier les mondes, à traverser toutes les échelles, tous les espaces et les temporalités les plus diffuses, pour rendre hommage à la complexité de la vie.
La fantaisie, la vitalité du propos et la transgression des codes d’usage sont un appel à la vie et une invitation à l’invention.
Car tous procèdent, par leur débordement imaginaire, à des glissements sémantiques.
L’échelle du travail nous plonge d’emblée dans leur propre monumentalité.
Ce désordre apparent laisse entrevoir un monde qui aurait plusieurs entrées, où le singulier nourrit le collectif, loin d’une vie cloisonnée, car la vie grandit dans la proximité du connu et de l’inconnu, là où le familier côtoie le rituel.
Le travail de Sabine nous montre que l’homme aime déguiser son âme pour sortir de sa dualité et donner une place aux chemins de traverse, hors de toute linéarité.
On y transfère avec gourmandise nos cassures du réel, et l’installation force le surgissement d’une complexité au miroir de nous-mêmes.
Mais le travail de Sabine peut être accueilli plutôt comme un propre « manifeste », là où l’échelle proposée renvoie à la convergence de tous les flux et à la prise en compte de notre humanité.
Florence MORALI
Enseignante art, culture et design, sociologue urbaine
Toulon, le 12 janvier 2023
Texte présentation de ma démarche
Mon travail s’organise autour d’une narration, à partir d’une narration intérieure,
celle que l’on se raconte à soi-même pour comprendre ce passage étroit
que l’on nomme la vie, entre le début et le moment où l’on est attablé au travail,
en train de mettre des mots sur le pourquoi, c’est-à-dire maintenant.
J’ai choisi de nommer les éléments comme ils viennent.
Les sémiophores modestes de ma mémoire.
Les souvenirs, même s’ils sont présents et forts, ne se livrent à nous que par impact,
bribes, flashes toujours différents lorsqu’on les convoque.
Ils sont un flux, un influx, qui se modifie au même moment que le temps passe et que d’autres s’y entremêlent.
Rien n’est mémoire sinon la fiction d’une mémoire qui nous rassure.
Ici, le flot des images émerge dans des opérations procédurales simples.
Mes archives intérieures aboutissent à ces choses-là, sans vraiment être ces choses-là.
Elles sont divisées, comme on les classerait, en différents chapitres qui ont un nom.
Les productions en terre et les câbles qui servent à les suspendre sont des objets-supports
pour reconstruire ces évènements, comme le feraient les traces d’un sismographe sur une feuille de papier.
Ici, le départ est un cahier d’aquarelles annotées,
faites sur des lieux qui donnent leur nom à certaines parties des chapitres
oublié dans la nuit du temps.
Sabine BALP
Février 2023